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J’ai été investisseur à long terme. je suis aujourd’hui trader. Je peux témoigner du fait que ces activités n’ont que peu en commun. Certes, nous utilisons souvent les mêmes instruments. Mais les similitudes s’arrêtent là.

Quelles différences entre investissement en bourse et trading ?

Durée de détention, levier financier, catalyseurs

L’investissement en bourse consiste à mobiliser de l’épargne en vue de la faire croître à long terme en prenant un risque. L’horizon de l’investissement est généralement supérieur à 5 ans, jusqu’à plusieurs décennies. On n’utilise que les liquidités disponibles à investir, ce qui signifie concrètement qu’on n’utilise pas le levier de l’endettement. Vous observerez au passage une différence avec l’investissement immobilier, qui lui nécessite en général un levier important, de l’ordre de 3 à 5 fois le capital effectivement disponible. Le trading utilise en général le levier de plusieurs manières. La plus simple est d’utiliser un compte sur marge. Vous disposez par exemple de 100 K CHF dans votre compte sur marge, qui vous permettent de vous exposer à 350 K CHF d’actifs, ce qui représente un levier de 3.5. Ce levier financier n’est pas gratuit, il est coûteux lorsqu’il est utilisé. Une autre façon d’utiliser le levier est de recourir à des options de vente ou d’achat.

L’investisseur en bourse conserve des actions pendant 1 à 2 ans minimum parfois sans limite de durée. Le trader va en général mettre en place ses positions pour les détenir quelques jours jusqu’à 3 mois environ, 6 mois maximum. Ce qui décide l’investisseur à investir, sa « thèse d’investissement », c’est la confiance dans le projet à moyen et long terme de l’entreprise (s’il s’agit d’une action par exemple). Si le trader peut avoir un avis sur la qualité du projet d’une entreprise, ce n’est pas ce qui le motive à mettre en place une position. Il a besoin d’un catalyseur identifiable à court terme. Un catalyseur est un événement interne ou externe à l’entreprise, clairement inscrit dans le temps, et qui est susceptible de susciter un mouvement fort et rapide du cours de l’action. Exemples : résultats d’étude clinique pour une biotech, sortie d’une nouvelle génération de consoles de jeux pour un éditeur de jeux vidéos, nouvelle réglementation qui affecte le marché. La simple publication des résultats de l’entreprise est aussi un catalyseur évident.

« Sens » des positions

L’investissement en bourse consiste à acheter des instrument financiers pour les vendre plus tard à un prix plus élevé. On appelle cela la gestion « longue ». On ne fait pas de pari sur la baisse du prix d’un actif, qui est de la gestion « short ». Pour autant, il peut arriver qu’on cherche à protéger le portefeuille contre certains risques de baisse. Si cela modifie le profil de rendement et de risque du portefeuille, cela ne change pas son objectif.

En trading, il est rare qu’on ne travaille qu’à l’achat. Certains sont longs la plupart du temps sauf pendant les marchés baissiers. D’autres sont spécialisés sur les situations spéciales, faites d’événements particuliers dans la vie d’un titre : entrée ou sortie des indices, fins de période de lock-ups, introductions en bourse, retournement, acquisitions, short squeeze, changements de managers, spin-off, etc. Et oui, ce sont autant de catalyseurs potentiels. Certains s’en sont fait une spécialité, à la hausse comme à la baisse. Pour ma part, je ne suis ni long, ni short, je suis « neutre » la plupart du temps. Autrement dit, j’ai autant de positions à la hausse que de positions à la baisse. Pour être parfaitement clair : mon exposition globale à la hausse est, dans les grandes masses et à quelques ajustements techniques près, à peu près égale à mon exposition à la baisse. La différence entre les deux « sens » est appelée l’exposition nette. Je fais en sorte qu’elle ne soit jamais supérieure à 20% de mes actifs totaux. Cela peut vous paraître faible, mais en réalité dans cette stratégie, 20% c’est beaucoup. On appelle cela avoir un biais, qui peut être haussier ou baissier.

Instruments utilisés

L’investisseur utilise en général des actions, des ETF, des obligations et des fonds, sachant qu’un ETF ou un fonds peut lui donner accès à peu près à n’importe quelle classe d’actifs, des matières premières aux actions technologiques en passant par les minières, les obligations émergentes, les produits agricoles ou les devises. Mais contentons-nous des actions, des obligations et des ETF.

Si l’investisseur a un horizon précis en tête, comme par exemple un départ à la retraite, et que son horizon est de 30 ans, il aura en général une forte exposition aux actions en début de période. Une fois que l’horizon résiduel est de 15 ans environ, il va progressivement faire baisser baisser la part actions au profit de la part obligataire. Cette part obligataire va avoir une duration qui baisse avec le temps, au point qu’en fin de période, il n’aura plus que des obligations à court terme.

Le trader va en général travailler des actions, des options sur actions ou sur ETF, et éventuellement des CFD et des futures s’il cherche à s’exposer à des marchés qui ne sont pas des marchés domestiques pour lui. En réalité, ce que j’expose là est très schématique car il y a un grand nombre de traders spécialisés qui ne travaillent ni les actions, ni les ETF, ni les options. Dans les matières premières ou les devises par exemple. Je me concentrerai sur les options sur actions et sur les futures, parce que c’est mon domaine d’activité, de même que pour beaucoup de hedge funds.

J’exécute personnellement deux stratégies : long/short d’une part, arbitrage d’indices d’autre part. En gestion long/short, je n’utilise que des options sur actions ou indices. En arbitrage sur futures, comme son nom l’indique, je n’utilise que des futures sur indices et j’ai un horizon beaucoup plus court que sur mon portefeuille long/short.

Diversification

L’investisseur a besoin d’un minimum de diversification : il lui faut un minimum de 15 à 20 lignes différentes en portefeuille. Les plus grosses représentent rarement plus de 5% du total. Parfois, lorsque les capitaux sont élevés, il y a beaucoup plus de 50 lignes. Je me souviens avoir vu plus de 200 lignes dans le portefeuille d’un confrère. Sincèrement, c’est beaucoup trop pour moi : impossible à suivre, un tel degré de diversification signifie que vous allez au mieux faire la même performance que le marché. Dans ce cas, pourquoi se donner tant de mal alors qu’on peut simplement prendre une poignée d’ETF ? Pour un particulier, 20 à 25 lignes différentes me paraissent être un maximum.

En trading, les choses sont différentes. Pour ce qui me concerne, le simple fait d’avoir un portefeuille long/short réalise déjà une grosse part de la diversification. C’est pourquoi j’ai en général un maximum de 6 positions longues et 6 positions short, soit 12 lignes au total. Là où les choses se compliquent un peu, c’est que j’essaie de diversifier les dates d’échéances de mes options. Je ne souhaite pas que tous mes calls et tous mes puts expirent le même jour. Ce serait trop dangereux. Par conséquent, je lisse dans le temps sur plusieurs échéances. En plus de cela, pour chaque position (longue ou short, peu importe), j’ai en général deux « jambes ». Un jambe longue qui exprime ma conviction et une jambe short, d’échéance plus courte, qui me permet de réduire le coût de ma jambe longue si je me trompe sur le timing. Au total, sur 6 idées longues et 6 idées short, j’ai en général in fine entre 30 et 36 positions de calls ou de puts sur 3 à 4 mois.

Rotation du portefeuille

En investissement, on se focalise sur les fondamentaux sans essayer d’entrer au meilleur moment, et c’est très bien ainsi. Il y a donc peu de rotation du portefeuille. Peut-être une sortie et une entrée par mois, environ.

En trading, deux cas de figures en ce qui me concerne, mais une conclusion identique. Sur mon portefeuille long/short vous pouvez compter de la manière suivante. 6 longs + 6 shorts tous les 3 mois en moyenne = 50 à 100 positions par an. Voilà une différence très significative. Dans le cas de l’arbitrage, c’est très différent : je suis globalement en position une petite partie du temps, de l’ordre de 20%. Pourquoi ? D’abord parce que les opportunités sont rares. La plupart du temps il n’y a tout simplement pas assez de volatilité pour justifier un trade. Ensuite le potentiel de chaque trade est faible. Ainsi, si j’entre en position et que le mouvement que j’attends a lieu, je sors assez rapidement pour matérialiser ma plus-value. Le résultat est que sur cette gestion, je termine la plupart des journées avec 0 position et 100% cash. Le portefeuille tourne donc beaucoup, sur un univers d’instruments restreint, et des durées d’exposition courtes.

Conclusion

Pour moi, trading et investissement ne s’opposent pas : ces deux activités se complètent. Celle qui me prend le plus de temps (le trading) me permet de générer des profits. Ces profits alimentent ensuite mon portefeuille boursier d’investissement à long terme. C’est faisable parce que j’ai une longue expérience, qui me permet de chausser les bonnes chaussures selon la situation.

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